Le répertoire Sirene et le RNE : l'heure des clarifications
Alors que débute au printemps 2025 une mission sur le positionnement de Sirene par rapport au répertoire national d’entreprises (RNE) dans laquelle seront impliqués l’Inspection générale de l’Insee, l’Inspection des Finances et le Conseil général de l’économie (voir notre communiqué du 28 mars 2025) la CFE-CGC Insee propose une réflexion à partir de plusieurs enjeux qu’elle a identifiés pour la qualité de nos statistiques et pour les agents des sites Sirene. Lors du groupe de travail du comité social d’administration de réseau du 25 mars 2025, l’administration qualifiait de « sensible » cette mission. C’est un avis que nous partageons sur un sujet qui, à peine plus de deux ans après la mise en route délicate du Guichet unique, engage l’avenir de l’une de nos missions phare, de plusieurs outils et de nos compétences internes. Pour la CFE-CGC, la réflexion en cours doit être l’occasion de réaffirmer le rôle majeur de Sirene en tant que répertoire garant de la qualité de l’identification des entreprises et de leur statut économique et colonne vertébrale de la statistique d’entreprises française.
Sirene et RNE : qui fait quoi ?
Le répertoire Sirene, créé en 1973, constitue un pilier du système statistique public et de l’analyse économique en France.
Géré par l’Insee, il référence l’ensemble des unités légales et établissements (entreprises, administrations, associations), qu’ils soient actifs ou non. Il alimente de nombreuses statistiques, études économiques, recherches, et est largement utilisé par les administrations dont les administrations sociales et fiscales, les organismes publics et les acteurs économiques. Dans le cadre du répertoire Sirene, l’Insee remplit une mission fondamentale consistant à attribuer les numéros Siren/Siret et le code APE.
L’Insee diffuse en open data la liste des acteurs économiques actifs ou non et leurs principales caractéristiques. Depuis la mise en service de l’API Sirene (application programming interface), des dizaines de systèmes d’informations d’administrations y sont interfacés et vérifient ainsi l’existence et les coordonnées des entreprises et établissements qui font appels à leurs services (y compris l’annuaire des entreprises géré par la DINUM). L’Insee diffuse également via Sirene la catégorie d’entreprise, utilisée comme l’APE dans de nombreux textes réglementaires.
En ce sens, Sirene est depuis sa création un répertoire à double vocation :
– un répertoire inter-administratif qui permet l’identification des unités légales et de leurs établissements selon des critères partagés avec les partenaires fiscaux et sociaux qui en sont les utilisateurs administratifs de premier rang ;
– un référentiel pour l’ensemble de la statistique publique en France dans les domaines de la statistique d’entreprises, de l’emploi, des revenus, des études territoriales etc.
Lors des débats parlementaires qui ont précédé le vote de la loi PACTE en 2019, l’Insee avait réussi à faire valoir la spécificité du répertoire Sirene ainsi que l’intérêt de maintenir son existence malgré la mise en place du RNE. Six ans plus tard, et avec l’expérience de la mise en place laborieuse du RNE et du Guichet unique, faut-il remettre en cause cette décision sans laquelle des pans entiers de la statistique publique aurait connu une crise majeure ?
Le RNE est un répertoire plus récent, institué en 2021 dans le cadre de la loi PACTE et géré par l’INPI. Il centralise principalement des données d’identification juridique des entreprises, à partir des formalités d’entreprise effectuées sur le guichet entreprise depuis sa mise en place effective en janvier 2023 et de sources multiples (Greffes, DGFiP, Urssaf, Insee…). Il vise à remplacer les registres du commerce et des sociétés dans une logique de centralisation juridique et en ce sens, peut avoir un positionnement complémentaire au répertoire Sirene.
Sirene et RNE : deux répertoires en concurrence ?
Avec la mise en place du Guichet unique en janvier 2023, la chaîne de traitement des formalités d’entreprises a été profondément impactée. Même si l’INPI est devenu le point d’entrée central, il l’est uniquement pour les entreprises au sens strict. L’INPI ne gère pas en effet l’identification des personnes morales de droit public ni certains besoins spécifiques pour la DGFiP et l’URSSAF (par exemple, les entreprises sans établissement en France réalisant des actes économiques en France) ni le statut d’activité qui est aujourd’hui fourni par Sirene. L’Insee conserve seul la vision globale et la capacité à immatriculer l’ensemble des acteurs de l’économie française.
L’Insee reste également au coeur du dispositif en assurant la gestion opérationnelle : il attribue les numéros d’identification, crée les unités légales et leurs établissements, assure la codification des APE et met à jour et analyse les informations issues des événements transmis par l’INPI et les partenaires.
Cependant, depuis la mise en place du Guichet unique, opération coûteuse pour laquelle les agents de l’Insee ont effectué un travail remarquable et souligné comme tel, les deux répertoires se retrouvent en interaction étroite. Le RNE semble prendre de plus en plus d’importance, suggérant une possible recomposition des rôles respectifs. Une évolution du positionnement de Sirene, colonne vertébrale de toute la statistique d’entreprise pour le SSP, pose de nombreuses questions et suscite logiquement des craintes. Les enjeux sont multiples, nous en avons à ce stade identifié six.
Cinq enjeux majeurs
Le premier enjeu est celui de la qualité de la statistique d’entreprise qui est assurée jusqu’à présent par une maîtrise de la qualité du répertoire Sirene. La rigueur des agents de l’Institut dans la gestion de Sirene garantit aujourd’hui des données fiables, localisées, vérifiables. Le RNE est encore jeune et ne présente selon nous pas à ce jour le même niveau de robustesse, de filtrage, ni de traitement qualitatif. Sirene garantit la maîtrise de la prise en compte des flux d’information et des délais afférents, condition sine qua non de la qualité de la statistique d’entreprise, aussi bien de la statistique conjoncturelle (démographie, IPP, ICA) que structurelle, laquelle alimente les comptes nationaux. De même, seul le répertoire Sirene garantit la qualité des adresses physiques des entreprises, utilisées notamment pour l’envoi des courrier d’enquête. Si le RNE centralise l’ensemble des événements juridiques concernant les entreprises, seule l’analyse qui en est faite par Sirene permet d’identifier les entreprises économiquement actives. Enfin, la détermination de l’APE ne peut être complète qu’avec le recours à l’expertise des gestionnaires Sirene à l’Insee ; pour une minorité de cas certes, mais une minorité déterminante.
Là où le RNE couvre les entreprises qui sont dans le champ de la loi PACTE, Sirene immatricule également les autres personnes morales, notamment les administrations et les associations. Attribuer une immatriculation ne consiste pas à donner un numéro aléatoire à un acteur économique qui en ferait la demande. Comment assurer l’unicité de l’immatriculation sans un répertoire unique ? Comment gérer la vie d’une entreprise entre les fusions, les cessions, les réactivations, sans un historique complet ?
Sirene, pour la statistique publique et la gestion de répertoire, c’est un patrimoine de 50 ans d’expérience avec une transmission de compétence intégrée et professionnalisée, d’immatriculation interadministrative entre le social, le fiscal et la statistique publique, et également une longue expérience dans l’accompagnement des entreprises et les contacts avec les organismes partenaires. La gestion du RNE est très loin de répondre aux mêmes exigences en matière de connaissance juridique des entreprises et de l’environnement institutionnel, et la multiplication des intervenants ne peut garantir un traitement homogène de l’ensemble des acteurs économiques. Ces compétences, cette homogénéité de traitement, le partage de 50 ans de consolidation de bonnes pratiques sont pourtant indispensables à la qualité des statistiques d’entreprise.
La CFE-CGC perçoit un risque de dilution de l’image publique de l’Insee. L’Insee est reconnu historiquement pour sa fiabilité, sa neutralité et son expertise dans la gestion de la donnée économique. Si les utilisateurs finaux se retrouvent face à une multiplicité de référentiels (RNE, RNCS), cela pourrait réduire la visibilité et la légitimité de l’Insee à moyen terme. Les erreurs du RNE pourraient être attribuées à tort à l’Insee. Toute atteinte à l’image de l’Insee pèsera sur le taux de réponse aux enquêtes et sur leur qualité.
La gestion du répertoire LEI (legal entity identifier) est adossée à Sirene, cette décision a été prise sur demande de la direction générale du trésor et de la Banque de France du fait des garanties de qualité offertes par le répertoire Sirene et sa gestion par l’Insee. Pour la création de ce répertoire international, c’est Sirene qui a servi d’exemple. La légitimité actuelle de l’Insee dans l’écosystème des LOU (organismes accrédités pour notamment attribuer les LEI) tient à sa position d’acteur central dans la gestion du répertoire de référence des entreprises et plus largement de l’ensemble des acteurs économiques en France. Et le RNE ne fait pas de gestion de la qualité.
Des gains de productivité illusoires
La réflexion sur le positionnement de Sirene par rapport au RNE nous inquiète, car il est facile de voir redondances et centres de coût pour qui ne connaît ni la statistique d’entreprises, ni le travail que représente la gestion de la qualité d’un répertoire.
Depuis le début des années 2000, l’Insee déploie des trésors d’ingéniosité pour rogner sur toutes les dépenses possibles, mutualiser les outils et faire des gains de productivité. Le directeur général a répété à plusieurs reprises ces dernières années que l’Institut était parvenu au bout des gains de productivité possibles. Si les équipes Sirene sont toujours là, c’est parce que la statistique publique en a besoin.
En cas d’abandon de la gestion des entreprises dans le répertoire Sirene, l’outil et les compétences devront malgré tout être maintenus pour la gestion des administrations et des associations par les pôles Sirene d’Orléans et de Reims. Par ailleurs les moyens de Sirus devront être renforcés pour pallier le déficit de qualité du RNE par rapport aux standards actuels de Sirene. Au total, le solde de l’opération, en terme de ressources et sans compter les pertes inestimables de compétences et de qualité des statistiques, nous apparaît plus qu’hasardeux.
Les demandes formulées par la CFE-CGC
La CFE-CGC Insee demande :
• À être entendue officiellement dans le cadre de la mission IG Insee / IGF / CGE.
• À ce que cette mission entende également :
– les équipes Sirene
– les services producteurs et utilisateurs de la statistique d’entreprise, au niveau chef de division
– les SSM producteurs de statistiques d’entreprise (Dares, SIES, SDES)
– les représentants des partenaires fiscaux et sociaux de Sirene
La CFE-CGC Insee demande un engagement clair de l’État sur le maintien du rôle structurant de l’Insee dans la gestion, le traitement et la diffusion des données d’identification, passant par le maintien de Sirene comme colonne vertébrale de la statistique d’entreprises et garant de la qualité du répertoire.
La CFE-CGC Insee demande la constitution d’une instance de dialogue social dédiée à la gouvernance des répertoires d’entreprises, voire à l’ensemble des répertoires. C’est parce que l’Insee avait une compétence reconnue dans la gestion du RNIPP que la décision a été prise dans les années 70 de lui confier la gestion de Sirene.
La CFE-CGC Insee demande une évaluation ex-ante concertée avec les services métier et les représentants du personnel des impacts induits par différents scénarios de repositionnement : quels métiers, quelles compétences à requalifier, quels accompagnements pour les sites concernés ?
La CFE-CGC Insee demande une communication transparente et franche auprès des agents de l’Insee sur les conclusions de la mission.
- Décret n°73-314 du 14 mars 1973 portant création d’un système national d’identification et d’un répertoire des entreprises et de leurs établissements
- Décret n°97-497 du 16 mai 1997 relatif au numéro unique d’identification des entreprises
LOI n° 2019-486 du 22 mai 2019 relative à la croissance et la transformation des entreprises (PACTE)
- Arrêté du 22 avril 2015 portant création d’un service à compétence nationale dénommé « guichet entreprises »
- Guichet unique